De l'arrogance

(ma chronique n'ayant pas été validée là où j'écris d'habitude, je la mets sur mon vieux blogus...)

J'avais commencé par écrire un texte autrement plus ambitieux, plus subtile et plus riche (oui j'en suis capable) explorant les concepts de communauté & communautarisme, identité & identitarisme, Boutin & jusqu'au-boutisme, j'avais mis des précautions d'usage pour éviter l'amalgame entre manifestants et casseurs, veilleurs et hors-la-loi, civitas et gentils-chrétiens, extrême-droite et joyeux-réacs, et puis ça m'a gonflé.
Face à un mouvement qui parle de rafle, de gazage, de fascisme et de chaos civilisationnel, j'ai eu une grosse fatigue, et j'ai tout effacé.
Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, etc. Alors je vais l'écrire tout à trac : les « #manifpourtous » me donnent envie de hurler, voire de vomir, voire les deux en même temps, et du coup, j'en ai plein les sinus.
Que des minorités défilent et veuillent imposer leur point de vue, c'est de bonne guerre, c'est la démocratie. Que les mouvements de foule dérapent, c'est logique, c'est du classique.
Que les policiers cognent, que les gardes à vue glauquent*, et que les médias mentent, c'est presque rassurant, le monde tourne pour tout le monde pareil.
Que les p'tits gars des « #manifspourtous » découvrent le Grand-Soir et l'appel du bitume, expérimentent la rébellion et la désobéissance, c'est pédagogique, attendrissant et même rassurant sur le rapport à la norme.
Qu'ils insultent les institutions et les ministres, hurlent au scandale, et jouent les martyrs, pourquoi pas, c'est un miroir grimaçant des luttes plus classiques.
Mais ce que je digère mal, c'est cette putain d'arrogance !
Ils ont raison parce qu'ils ont raison. Même quand ils ont tort. Parce qu'ils ont les moyens d'avoir raison. Parce qu'ils ne PEUVENT pas avoir tort.
C'est Versailles qui défile. Le Versailles d'avant la Révolution. Le Versailles qui découvre que le peuple n'a pas toujours de la brioche, que le bon policier qui aide la vieille dame à traverser n'est pas que gardien de la paix, il fait aussi le maintien de l'Ordre. Et l'Ordre n'est plus de leur coté.
Il faut les voir hurler au scandale sur la détention provisoire quand ça les concerne, sur les brutalités policières quand c'est pour leurs enfants, sur la fabrique des médias, quand c'est pour leur cause.
J'ai hâte de voir toutes ces pauvres âmes épouvantées rallier les associations qui militent contre les violences policières et pour des prisons plus humaines.
Comme le Premier de la classe qui pensait ne jamais avoir de mot dans le carnet ou l'enfant chéri de grande famille qui découvre le chômage, le #manifpourtous se prend une tranche de la réalité dans la gueule et trouve ça INJUSTE. Ils ne se pensaient pas au dessus des lois, ils pensaient juste que les lois étaient faites pour eux.
Ce petit milieu qui en trente ans a manifesté trois fois (pour LEUR école, CONTRE le pacs, CONTRE le mariage gay) n'a rien dit sur le drame écologique, n'a jamais protesté contre les guerres, se tait sur la corruption, ferme les yeux sur la misère.
Ce petit milieu qui se croit légitime et qui parle aux noms des français, aux noms des chrétiens, aux noms des traditions & des valeurs, cette minorité issue historiquement de la Résistance... (aux Lumières et à la Révolution) qui se croit tout permis car tout lui a été donné, ce petit milieu qui moralise, professe, juge et condamne, il va falloir qu'il comprenne un jour et (ça va être dur pour lui je le conçois), qu'il ne suffit pas d'être bien-né ou d'être bien pourvu pour être bien-pensant...


*(du verbe glauquer)